La portée de l’arrêt rendu par la CJUE le 29 janvier 2020 sur les libellés des marques
12 juin 2020
Depuis l’arrêt rendu par la Cour de justice le 19 juin 2012 (IP Translator – aff. C-307/10), le déposant doit identifier avec suffisamment de clarté et de précision les produits et les services pour lesquels la protection de la marque est demandée pour permettre aux autorités compétentes et aux tiers de déterminer, sur cette seule base, l’étendue de la protection demandée et conférée par l’enregistrement de la marque.
Ce principe a été intégré dans le parquet « Marque », et est désormais rappelé à l’article 33, §2 et §4 du Règlement (UE) 2017/1001 du Parlement européen et du Conseil du 14 juin 2017 sur la marque de l’Union européenne.
La Cour de Justice, dans un arrêt du 29 janvier 2020 (Sky c. SkyKick – aff. C-371/18), a dû se positionner sur les conséquences possibles en cas de non-respect de cette exigence.
L’opérateur britannique de télévision par satellite et câble Sky est titulaire de plusieurs marques britanniques éponymes qui désignent de nombreux produits et services, en ce compris des logiciels et appareils de télécommunication en classe 9 et des services de télécommunications, de courrier électronique et de portail Internet en classe 38.
Sur fondement de ses marques nationales antérieures, la société Sky a initié au Royaume-Uni une action en contrefaçon à l’encontre de la société SkyKick, qui avait déposé la marque « Skykick » et des déclinaisons de celle-ci pour identifier des produits et services en classes 9 (logiciel en tant que service) et 38 (services de migration entre plateformes de courrier électronique ou de stockage en nuage).
À titre reconventionnel, la société Skykick sollicite la nullité des marques de la société Sky aux motifs que : (i) les produits et services de ces marques antérieures ne sont pas identifiés avec suffisamment de clarté et de précision ; (ii) les demandes d’enregistrement de marques ont été déposées de mauvaise foi.
Dans ce contexte, la High Court of Justice (England & Wales) a décidé de surseoir à statuer pour interroger la Cour de justice de l’Union européenne.
Sur le premier motif d’absence de clarté et de précision, la Cour de justice précise que cette exigence ne fait pas partie des motifs de nullité mentionnés de manière exhaustive à l’article 3 de la directive 89/104 et aux articles 7 et 51 du règlement (CE) n°40/94.
Cette exigence est donc seulement un motif de refus à l’enregistrement, et non une cause de nullité.
La Cour ajoute que le défaut de clarté et de précision des produits et services visés n’est pas une carence d’une nature telle qu’elle est contraire à l’ordre public au sens du règlement (points 65 à 67).
Sur le second motif relatif au dépôt de mauvaise foi, la Cour rappelle qu’en vertu de l’article 51, §1, b) du règlement (CE) n°40/94 et de l’article 3, §2, d) de la directive 89/104 une marque peut être déclarée nulle lorsque le demandeur était de mauvaise foi lors du dépôt de la demande de marque.
Ainsi, l’enregistrement d’une marque sans que le demandeur ait aucune intention de l’utiliser pour les produits et les services visés par cet enregistrement est susceptible d’être constitutif de mauvaise foi. Toutefois, « une telle mauvaise foi ne peut (…) être caractérisée que s’il existe des indices objectifs pertinents et concordants tendant à démontrer que, à la date du dépôt de la demande d’enregistrement de la marque considérée, le demandeur de celle-ci avait l’intention soit de porter atteinte aux intérêts de tiers d’une manière non conforme aux usages honnêtes, soit d’obtenir, sans même viser un tiers en particulier, un droit exclusif à des fins autres que celles relevant des fonctions d’une marque. »
La Cour conclut dans cette affaire que le dépôt d’une marque sans aucune intention de l’exploiter pour les produits et les services identifiés dans son libellé peut caractériser un acte de mauvaise foi sous réserve de remplir les conditions susvisées.
En définitive, un déposant sera considéré de mauvaise foi s’il n’avait aucune intention de faire usage de sa marque pour les produits et services visés dans son libellé au moment de son dépôt. Il sera toutefois difficile pour la partie tierce d’en apporter la preuve, sachant que la mauvaise foi ne saurait être présumée sur la base du simple constat que l’activité du déposant ne correspond pas aux produits et services désignés dans sa demande.
Pour en savoir plus : CJUE, 29 janvier 2020, C-371/18, Sky e.a. / SkyKick
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