Les industriels de la charcuterie remportent une nouvelle victoire contre Yuka

11 octobre 2021

Vert foncé : c’est excellent. Vert clair : c’est bon. Orange : c’est médiocre. Rouge : c’est mauvais !

D’après son site internet, l’application Yuka compte plus de 20 millions d’utilisateurs qui se fondent sur ses recommandations pour faire leurs achats de produits alimentaires et cosmétiques. L’objectif affiché est d’aider les consommateurs à choisir des produits jugés bons pour leur santé. Une influence certaine puisque, selon une étude de mesure d’impact diligentée en 2019, 94% des utilisateurs « ont arrêté d’acheter certains produits » et 92% « reposent les produits lorsqu’ils sont notés rouges sur l’application ».

Une influence qui n’est pas au goût de tout le monde.

Après la Fédération française des industries des aliments conservés et les conserves (FIAC) qui avait obtenu sa condamnation en mars 2020 par le tribunal de commerce de Versailles, c’est au tour de la Fédération des entreprises françaises de charcuterie traiteur (FICT) de la faire condamner par le tribunal de commerce de Paris pour dénigrement, appel au boycott et pratique commerciale trompeuse et déloyale.

Dans cette affaire, il était reproché à l’application d’imputer de 30 points sur 100 la note des produits contenant des additifs nitrés, d’affirmer qu’ils présentent un risque élevé de cancer et de les associer à une pétition appelant à les interdire.

Le tribunal de commerce de Paris retient le grief de dénigrement au motif que l’objectif poursuivi par Yuka est de dissuader les consommateurs d’acheter les produits de charcuterie et que, du fait des circonstances de la communication (qui apparaissent au moment de l’acte d’achat), celle-ci crée un « déséquilibre manifeste entre la liberté d’expression d’une part, la liberté d’exercice d’une activité économique licite d’autre part, au détriment de la seconde ».

Pour le tribunal, l’intégration de la pétition dans l’application « conduit à des conséquences étrangères à la liberté d’expression, à savoir un impact direct et immédiat sur l’acte d’achat qui nuit gravement à la liberté d’expression d’une activité économique licite ».

Sur la base des mêmes éléments, le tribunal estime que « l’application Yuka se caractérise par une partialité constitutive de pratiques commerciales trompeuses à l’encontre des producteurs représentés par la FICT ».

Le 13 septembre 2021, Yuka a connu un nouveau revers devant le tribunal de commerce d’Aix-en-Provence.

L’affaire l’opposait, cette fois-ci, à la société ABC Industrie, spécialisée dans la fabrication de jambons cuits, qui lui reprochait de classer ses jambons comme « mauvais », compte tenu notamment de la présence de nitrites dans ces derniers, évalués à « un risque élevé » et ne disposant pas du label « bio ».

Sur la question de savoir si les dispositions relatives aux pratiques commerciales déloyales lui sont applicables, le tribunal répond affirmativement au motif que Yuka « exerce une activité qui peut être qualifiée de commerciale », ce qui semble difficilement discutable au regard de son chiffre d’affaires de 800.000 euros d’après ses déclarations.

Le tribunal les juge déloyales au motif qu’ « en s’abstenant, et compte tenu de l’importance du message envoyé car concernant la santé du consommateur et des risques de cancer, Yuka n’a pas fait preuve « du niveau de compétence spécialisée et de soins dont le professionnel est raisonnablement censé faire preuve vis-à-vis du consommateur, conformément aux pratiques de marché honnêtes » en citant l’additif E250 comme « additif à éviter et à risque élevé » ou en incitant à la signature d’une pétition interdisant ce dernier qui favoriserait l’apparition de cancers ».

Il les considère également trompeuses au motif que « les informations accessibles au consommateur, à l’instant même de son acte d’achat, depuis l’application mobile, faisant référence à des travaux scientifiques d’organismes référents sont tout à la fois difficiles d’accès par des manipulations multiples, donc à contretemps, mais aussi dissuasives, inintelligibles donc ambiguës pour un consommateur moyen ne maîtrisant l’anglais, parcellaires en ne citant souvent que le titre de l’étude, et incomplètes voire orientées en omettant d’autres sources tout aussi essentielles (…) ».

Enfin, il y a dénigrement, estiment les juges aixois, au motif que l’information délivrée sur les produits de charcuterie de ABC, même si elles relèvent d’un sujet d’intérêt général, ne repose pas sur des bases factuelles suffisantes et ne sont pas exprimées avec la mesure requise. Le tribunal est également sensible au fait que A.B.C « ne dispose pas des moyens équivalents de réponse aux allégations de Yuka, pour lui permettre d’exercer un droit de réponse et de défendre sa propre opinion, sur ses propres produits de charcuterie ».

Yuka a fait appel de ces décisions.

Ce qu’il faut en retirer est que communiquer ou publier sur les produits et services d’un concurrent ou d’une autre entreprise impose un juste équilibre entre liberté d’expression et obligation de loyauté dans les rapports commerciaux.

Céline Cuvelier / Emma Vincent

Sources : Tribunal de commerce de Versailles, ordonnance de référé, 5 mars 2020, Fédération française des industries des aliments conservés (Fiac) c/ société Yuka SAS ; Tribunal de commerce de Paris, 25 mai 2021, n°202100119, Féd. Entreprises françaises de charcuterie-traiteur c/ Sté YuKa ; Tribunal de commerce d’Aix en Provence, 13 septembre 2021, ABC Industrie SAS c/ Yuka SAS

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